Les marchés émergents restent vulnérables compte tenu du contexte mondial, mais certains secteurs offrent des opportunités, notamment dans le domaine de la dette en devise forte et de certaines actions des marchés émergents.
L’optimisme autour des actifs des marchés émergents a diminué progressivement en 2023. Une partie de l’enthousiasme initial reposait sur l’anticipation d’une redynamisation de l’économie chinoise à mesure qu’elle émergeait de sa politique « zéro COVID », d’un dollar américain plus faible et de taux d’intérêt terminaux plus bas que prévu. Ce scénario ne s’est pas déroulé comme prévu et les rendements ont chuté. Lorsque les rendements américains ont atteint de nouveaux sommets pluriannuels, le dollar s’est renforcé et la reprise de la Chine a été décevante. L’appétit des investisseurs pour les actifs des marchés émergents a diminué, ce qui a eu des conséquences sur les performances des actions et des obligations – à des degrés divers, il est vrai.
La tendance à considérer les marchés émergents (ME) comme un bloc unique est erronée : il existe de nombreuses particularités parmi les pays faisant partie des ME. Même s’il existe sans aucun doute des risques communs à l’ensemble du spectre des ME, notamment la sensibilité des pays à des risques géopolitiques toujours plus élevés ainsi qu’une large appétence au risque, il est important que les investisseurs identifient les domaines où se situent les variations. Parmi les principales différences entre les pays, la question est notamment de savoir si un pays d’un marché émergent est exportateur ou importateur d’énergie, et s’il s’agit d’une économie fondée sur l’industrie manufacturière ou sur les services. Ces distinctions importantes entre les nations révèlent l’hétérogénéité du groupe. De plus, au sein des différents indices – à savoir l’indice MSCI Emerging Markets pour les actions et les indices de dette émergente pour les devises fortes et devises locales – différents moteurs de performance sont à l’œuvre. Il est donc difficile de parler pour tous en une seule assertion. À titre d’exemple, les actions chinoises représentent environ 30% de l’indice boursier de référence des actions des marchés émergents, tout en comptant pour 4,7 % de l’indice de la dette en devise forte des ME et 10% du marché des devises local. Les arguments en faveur d’un investissement dans des actions ou des obligations en Chine peuvent être très différents.
Dans le cadre d’une perspective d’investissement, nous sommes généralement prudents à l’égard des marchés émergents. Même si nous ne détectons pas de grande valeur dans les actions des marchés émergents dans leur ensemble, il existe tout de même des opportunités. Un environnement de taux d’intérêt plus élevés plus longtemps a été intégré dans les cours des actions des marchés émergents. Par conséquent, nous avons constaté une sous-performance des actifs risqués des ME, une vente massive de devises des ME et une baisse des bénéfices anticipés. Dans l’ensemble, nos perspectives sont relativement plus favorables à l’égard des obligations des marchés émergents, en particulier sur la dette en devise forte. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte familier : la Fed, en s’appuyant sur les chiffres, est redevenue le moteur dominant des rendements de la dette émergente. La dette souveraine en devise forte semble attrayante car les spreads des ME offrent toujours de la valeur et, en l’absence d’une récession aux États-Unis, ont le potentiel de se renforcer.
Malgré les difficultés persistantes de la Chine, nous pensons qu’elle représente tout de même une certaine opportunité. Les gestionnaires actifs peuvent axer leurs efforts sur les domaines de croissance structurelle de l’économie qui bénéficient de politiques gouvernementales favorables, tels que l’indépendance technologique, l’électrification et d’autres domaines de la « nouvelle économie ». Nous pensons également qu’il serait pertinent de séparer la Chine du reste des marchés émergents, étant donné la pondération élevée du pays (environ 30% de l’indice de référence des marchés émergents), les faibles corrélations et son importance mondiale. Malgré l’importance de sa concentration, une baisse de la performance de la Chine provoque souvent des vents contraires pour les autres marchés émergents, multipliant ainsi l’impact de la Chine sur la performance des indices des ME. Par exemple, la faiblesse du cycle technologique a eu un impact sur l’industrie manufacturière des ME, alors que le ralentissement de la demande de biens internationaux a entraîné une baisse des commandes passées auprès des ME. Néanmoins l’inverse est également vrai lorsque l’économie chinoise affiche de bonnes performances. Une exposition à la Chine séparée des autres pays permet aux investisseurs d’augmenter ou de diminuer leur allocation globale à la Chine selon leurs besoins. Le graphique 1 illustre la différence de performance entre la Chine et le reste des ME. Une telle approche permet également une plus grande flexibilité pour l’investisseur concernant le choix du type d’exposition, qu’il s’agisse de la répartition entre gestion selon un indice et gestion active, des styles d’investissement, des orientations thématiques ou des inclinaisons vers les petites capitalisations.
Hors Chine, les marchés émergents ont tendance à privilégier fortement les entreprises et les secteurs cycliques, ce qui les rend particulièrement sensibles à l’activité économique mondiale. Nous anticipons une croissance inférieure à la tendance pour l’économie mondiale en 2024, ce qui créera un vent contraire pour les perspectives des marchés émergents. Hors Chine, les allocataires de fonds doivent également être conscients que, dans l’univers des marchés émergents, les risques de concentration demeurent. L’Inde, la Corée du Sud et Taïwan représentent plus de 60% de l’indice des ME hors Chine. En outre, la pondération de l’indice de Taïwan et de la Corée du Sud repose à plus de 30% sur une seule action.
L’ascension de l’Inde représente une opportunité intéressante. Doté d’une population croissante et jeune, ainsi que d’une croissance économique saine (voir graphique 2), le pays présente des caractéristiques d’investissement attrayantes. Sa composition sectorielle est bien diversifiée et ne dépend d’aucun secteur en particulier; à eux trois, les secteurs de la finance, de la technologie et de l’énergie représentent environ la moitié de l’indice boursier indien de référence.
Pour comprendre les perspectives de la dette des marchés émergents, il est important de faire la distinction entre les devises locales et les devises fortes et de comprendre leurs principaux moteurs de performance distincts. La performance de la dette en devise locale est déterminée par les taux et devises des marchés émergents, tandis que les rendements de la dette en devise forte sont déterminés par les spreads du Trésor américain et des marchés émergents. La résilience de l’économie américaine a poussé les marchés à ajuster leurs anticipations. Cette situation a entraîné une vente massive des bons du Trésor américain et un renforcement du dollar américain, ce qui a eu un impact négatif sur la performance de la dette en devise forte et en devise locale, et a annulé les gains réalisés plus tôt dans l’année.
Dans un contexte évolutif d’augmentation de la volatilité et de l’incertitude, la dette souveraine en monnaie forte semble relativement plus attractive car les spreads des marchés émergents, en particulier ceux des titres à haut rendement, offrent toujours de la valeur et, en l’absence d’une récession aux États-Unis, pourraient se renforcer (voir graphique 3). Le contexte géopolitique est devenu plus instable, mais si la guerre entre Israël et le Hamas ne se transforme pas en conflit régional, l’élargissement des spreads qu’elle a provoqué, qui reste limité, pourrait représenter une bonne porte d’entrée dans la catégorie d’actifs. L’une des préoccupations concernant la dette en devise forte est qu’elle peut s’avérer coûteuse dans un climat de renforcement du dollar américain. Si le dollar américain s’affaiblit, l’environnement serait alors plus favorable à la dette en devise forte. De plus, même si la volatilité des bons du Trésor américain représente un risque à court terme pour la catégorie d’actifs, un potentiel rebond des bons du Trésor, quand l’économie américaine changera, pourrait avoir un effet positif supplémentaire pour la dette en devise forte.
Les perspectives de la dette en devise locale, après sa surperformance au premier semestre 2023, sont devenues plus complexes. Il est remarquable et inhabituel que la politique monétaire des marchés émergents ne dépende plus autant de la Fed ces dernières années. Les banques centrales des marchés émergents ont réagi plus rapidement à l’inflation que leurs homologues des pays développés : elles ont augmenté les taux et depuis que l’inflation des marchés émergents a culminé fin 2022, les banques ont commencé à réduire les taux plus tôt que leurs homologues des pays développés (voir graphique 4). Cependant, les perspectives d’inflation sur les marchés émergents sont troublées par une flambée des prix du pétrole et le renforcement du dollar américain. Ce phénomène pourrait stimuler l’inflation par le biais des taux de change. Par conséquent, outre l’impact négatif d’un dollar américain fort sur les devises des marchés émergents, une question clé subsiste quant à la dette en devise locale : pendant combien de temps les banques centrales des marchés émergents peuvent-elles s’écarter de la politique de la Fed ?
Une évolution récente importante dans le domaine des devises locales a été la décision d’inclure l’Inde dans l’indice phare JPM GBI-EM Global Diversified Index à partir du second semestre 2024, ce qui lui permettra d’atteindre le plafond de pondération de l’indice de 10% une fois que cela sera entièrement intégré. Le fait d’inclure l’Inde apporte une diversification très attendue à l’indice des devises locales, tout en permettant également aux investisseurs de participer au potentiel de croissance de ce grand pays classé investment grade.
Même si les marchés émergents sont affectés par une volatilité plus large, nous sommes persuadés qu’il existe encore des opportunités dans l’ensemble de ce vaste univers d’investissement, notamment dans la dette émergente. Pour les actions, il est préférable de privilégier une approche active axée sur les segments du marché en croissance structurelle. Dans l’ensemble, la dette et les actions des marchés émergents offrent une exposition à des pays ayant une croissance économique supérieure et un endettement inférieur à celui des économies des marchés développés. On y décèle ainsi des avantages en matière de diversification dans le cadre de portefeuilles plus larges.